Histoire : Margaux (Épisode 01)

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Histoire


Histoire ajoutée le 03/05/2023
Épisode ajouté le 03/05/2023
Mise-à-jour le 08/05/2023

Margaux

La lumière du jour, filtrée par les vitres sales, se répandait en une flaque huileuse sur le carrelage non moins négligé ; pour ajouter un peu de malaise à cet endroit sordide, des écouteurs bas de gamme diffusaient du Richard Clayderman à un niveau sonore relativement peu supportable.
Ils étaient deux à attendre dans le couloir : Thomas et une jeune femme bien trop propre sur elle au point de jurer avec le reste du décor. Elle l’énervait à paraître parfaite dans sa robe verte et ses mules neuves ; lui-même s’était habillé à la va-vite ce matin, ne s’était pas rendu compte de la tache douteuse au niveau de sa braguette et des éclaboussures de jaune d’oeuf de la veille sur son sweat. Une de ses chaussures avait un trou. Bref, il avait mis son meilleur costume de tocard pour venir à ce rendez-vous avec son éditeur. Discrètement, il prit une photo de la jeune femme qui, plongée dans la lecture de son (parfait) exemplaire des Raisins de la colère, ne remarqua pas le pourtant peu discret flash du smartphone. Ou, en tout cas, elle faisait semblant de ne rien remarquer.
Voilà bien dix minutes que l’éditeur aurait du venir sauver Thomas de cette situation bien désastreuse ; l’éditeur n’en avait cure de la tenue vestimentaire de ses auteurs, tant qu’ils écrivaient bien. Et Thomas écrivait bien. Il s’était spécialisé dans l’horreur, son public était plutôt jeune, même franchement adolescent, et tous, critiques et professionnels du livre compris, étaient élogieux à son égard. Alors que bon. L’autre pimbêche, là, qui attendait dans le couloir et qui, d’impatience, s’était mis à faire du dangling avec l’une de ses mules… Ouais… Est-ce qu’elle savait écrire, elle ? Non. Sûrement que non. Thomas n’arrivait plus à détacher son regard des pieds de la jeune femme, il espérait que la mule tombe. Dans ses rêves les plus fous, la mule tombait et alors il…

“- Monsieur Mendelssohn ? C’est à nous, je crois.”

L’éditeur venait enfin le tirer de cette situation qui commençait à échapper au contrôle de l’auteur. La femme adressa un regard et un sourire pleins de gentillesse lorsqu’il passa devant elle, et l’espace d’un instant Thomas regrettait les mauvaises pensées qu’il avait sur elle. 

“- Oh, bonjour, fit l’éditeur à la jeune femme. Monsieur Mendelssohn, je vous assure que vous avez là votre meilleure concurrente. Allez, installez-vous.”

Et voilà, si l’éditeur avait bien pris soin de fermer sa gueule, les idées franchement rudes que Thomas avaient concernant la dénommée Loiseau ne seraient pas revenues au triple-galop au premier plan de ses pensées. 

Le bureau était à l’opposé du couloir où avait patienté le jeune homme, inspiré des cabinets de curiosités. Thomas ne s’attendait pas à ça. Il envoya à une dénommée M. la photo qu’il avait prise il y avait de ça quelques minutes, le temps que l’éditeur fasse deux cafés. Un pour l’éditeur et le deuxième pour l’éditeur. Thomas pressentait une fin de merde pour ce rendez-vous, vu comment il était reçu. 

“-Alooors… Monsieur Mendelssohn. Si je ne me trompe pas, vous venez des éditions Shirley Jackson, n’est-ce pas ? Vous faites de la littérature pour les gosses et vous tentez de leur faire peur, n’est-ce pas ?

“-Oui, n’est-c… Oui, c’est ça. J’avais envie de changer de registre, oser quelque chose de plus… sensuel, érotique.

-Moui. C’est bien pour ça que vous nous avez envoyé votre tapuscrit. Je ne vous cache pas, Monsieur Mendelssohn, que nous apprécions très bien vos talents d’écriture ici, chez Tick, mais malheureusement il y a encore beaucoup à faire pour faire partie de notre catalogue. Je vous ai fait venir ici parce que je sais le potentiel qu’il y a en vous, et comme j’aime à le dire, il me suffit d’une rencontre pour savoir si la personne est effectivement ce qu’elle prétend être, ou bien si elle est un pur imposteur. Vous avez au moins pris la peine de regarder notre site Tick.le, comme vous l’indiquez dans votre lettre d’introduction, et connaissez bien notre maison. Vous nous flattez en disant que vous avez tout lu, vous savez ?

- C’est une mauvaise chose ?

- Monsieur Mendelssohn. Nous disposons de 90 titres dans notre catalogue, tous traitant plus ou moins du même thème. Il est impossible d’avoir tout lu, c’est d’un ennui. De mon propre aveu, si ça n’avait tenu que de moi, le catalogue n’aurait actuellement qu’une dizaine de titres à proposer aux lectrices et lecteurs raffinés. 

- Pourtant je vous assure que ma femme et moi avons tout lu. Nous en avons discuté longuement et nous avions convenu que vous étiez la meilleure maison d’édition susceptible de défendre mon travail. 

- Vous me flattez encore, Monsieur Mendelssohn. Je n’aime pas ça. Tout comme je n’aime pas votre nom. Un nom de Juif, Monsieur Mendelssohn, ça n’est pas très vendeur.

- Allez dire ça à Félix ou à sa soeur !

- Devrais-je les connaître ?

- Non, raciste de mes couilles. Je confirme que je n’ai pas vraiment ma place chez vous”.

Avant de partir en claquant la porte, Thomas prit les deux tasses de café brûlant et les jeta à la figure de l’éditeur bas de gamme. Dans le couloir, la jeune femme était toujours là et poussa un hurlement quand l’éditeur emboîta le pas au jeune homme et l’insulta de tous les noms. 

“-Me faire ça à moi, connard de mes deux ! Devant ma fi…”

Dehors. Il était enfin dehors, loin de ces énergumènes. Il avait la tête ailleurs, le Thomas, mais il a cru comprendre que la jeune femme dans le couloir était la fille de l’éditeur. Tel père telle fille ? Si elle était comme le daron, il n’aurait aucun scrupule à laisser libre ses meilleures comme ses pires idées. Mais d’abord, il fallait qu’il retrouve Margaux. 

Margaux était sa compagne de quinze ans son aînée. Ils s’étaient rencontrés lors d’une soirée organisée par des amis communs. Thomas n’avait que trente ans à ce moment-là. C’était il y a cinq ans, il finalisait tout juste son doctorat sur la littérature nord-américaine des années 50. Il avait eu besoin de se vider l’esprit, enfin, et ses amis lui avaient proposé de se joindre à la fête. Là, il y avait cette femme, rousse, des yeux verts protégés par des grands verres ronds, des taches de rousseur comme on en fait pas, un nez tout mignon. Elle arborait un T-Shirt Horizon Zero Dawn (elle avait la même coupe qu’Aloy) qui lui descendait jusqu’aux genoux, et les pieds les plus mignons du monde dans des sandales toutes simples. Thomas avait déjà deux parutions à son actif, mais les personnes de la soirée ne faisaient pas partie de son lectorat. Margaux était vidéaste, mais les personnes de la soirée ne faisaient pas partie de ses spectateurs. Ils avaient l’air aussi paumés l’un que l’autre, mais le courant est tout de suite bien passé. Ils avaient discuté de tout et de rien, surtout de culture geek à dire vrai. 

“- Mais sinon, tu pourrais pas me montrer ton travail ? avait lancé tout à trac Thomas.
- Je pourrais…  Mais tu risquerais de te moquer de moi.
- Je t’assure que non.”

Margaux l’avait dévisagé quelques secondes avant de le prendre par la main et de le traîner hors du salon, là où il y avait le plus gros de la fête. Quelques personnes les regardaient d’un air émoustillé, et Thomas avait reçu quelques clins d’oeil approbateurs de la part de mecs et de meufs qu’il connaissait plus ou moins. Ils allèrent dans une chambre, s’assirent sur le lit.

“- Pourquoi on est pas allé dehors ?
- Parce que là, au moins, on peut s’enfermer, le temps que je te montre ce que je fais comme vidéos, et personne d’autre peut nous voir. Par contre, il faut que tu me promettes que tu ne te moqueras pas, que tu ne me jugeras pas, que tu ne t’enfuiras pas.
- Je te le promets.”

Alors Margaux sortit son smartphone et lui montra la vidéo la plus étrange que Thomas avait vu jusqu’alors : un homme d’une vingtaine d’années, nu, chevilles dans un carcan et orteils attachés, riait aux éclats alors que Margaux lui chatouillait les pieds. Le garçon bandait sec. A côté de sa bourrelle se trouvaient des plumes, des plumeaux, diverses brosses.

“- Il existe un fétichisme qui s’appelle la knismolagnie. C’est être sexuellement attiré par les chatouilles. C’est mon cas, c’est le cas du garçon que tu vois là. Je filme les séances que je fais avec des inconnus de toute la France et je vends les vidéos. Je suis aussi fétichiste des pieds, j’aime qu’on me les lèche comme j’aime lécher ceux des autres, garçons comme filles. Regarde.”

Un autre moment de la vidéo, elle donne de généreux coups de langue aux pieds du même garçon qui hurle quand la langue slalome entre ses orteils. 

“- La pénétration, c’est pas mon truc, avait continué la femme. Je ne ressens du plaisir sexuel que comme ça. Le sexe oral aussi, ça me plaît. La vidéo ne le montre pas mais je finis par le sucer en me masturbant également.”

Thomas ne savait pas quoi dire. La vidéo lui avait fait un certain effet. Il ne savait pas encore s’il en avait peur ou si ça le fascinait. Il admirait encore plus Margaux qui avait pris le risque de dévoiler quelque chose qu’on ne dévoile qu’aux personnes de confiance, normalement. 

“ - Alors ? Je te fais peur ou ça va ? avait balancé Margaux, un sourire aux lèvres.
                - Faut admettre que c’est original… Et tu vends ces vidéos ?
             - C’est mon métier. Ca marche plutôt bien. Les Américains en sont friands, vu qu’ils fantasment beaucoup sur nous. Si ça te dit, je peux te faire une démonstration en vrai.”

Une bosse commençait à se former entre les jambes de Thomas.